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Raymond Tournier

 

 

(Raconté par sa sœur Colette MONTAUBAN)

Au moment de la déclaration de guerre :

« Nous avions des parents à la maison et essayons de profiter des vacances, malgré les bruits de guerre qui circulaient". Le 2 septembre 1939, c’est la mobilisation générale, les soldats envahissent les rues, occupent les maisons de vacances. Nous sommes très inquiets. Pierre aura 19 ans le 8 octobre. Le 3 sept., à la suite de l’Angleterre, la France déclare la guerre à l’Allemagne, pour défendre son allié, mais aussi pour arrêter la monstrueuse ruée de la dictature hitlérienne. Pour nous pacifiste, c’est un choc, car nous sentons que nous allons être malgré nous les acteurs de cette triste période.

(…) Depuis quelques mois, Pierre a été recruté à la Trésorerie Générale de la Charente. Sa sœur Colette, 15 ans, continue ses études à l’E.P.S. d’Angoulême. Les parents sont commerçants. Le père à fait la guerre de 14 et connu Verdun – c’est un humaniste – un bon père. Par lui, nous savons que la guerre n’est jamais juste et n’amène rien de bon. (…) Pierre a 19 ans. Il n’a pas été appelé pour le service militaire étant de la fin de l’année 1920. La débâcle et l’Armistice de juin 1940 lui éviteront de partir à la guerre. (…) L’armée allemande avance très rapidement, la bataille est partout. C’est l’exode ! Des réfugiés du Nord, de l’Est, de Paris arrivent en Charente. Nous sommes abasourdis par une telle situation et tant de malheurs… La demande d’Armistice en cours donne un espoir. Mais des soldats allemands tout de noir vêtus S.S. envahissent la ville avec leurs tanks.

A la maison, mon père très émus nous dit qu’ils sont là pou longtemps, qu’il faudra lutter, ses yeux se remplissent de larmes.
(…) La nomination de PETAIN (17.06.40) comme Président du Conseil nous permet d’espérer que l’Armistice sera conclu dans les meilleures conditions (c’était sans compter les exigences allemandes). A 12H30, le Maréchal parle à la radio et annonce qu’il faut cesser le combat. Ma mère est satisfaite, son fils n’ira pas à la guerre, mais nous, nous sommes très anxieux.
(…) Début juin, lors des remaniements du Gouvernement, De GAULLE semblait vouloir défendre son pays et ne pas envisager l’Armistice (réf. Radio). Pour beaucoup il était inconnu. (…) L’Angleterre ne s’inclinait pas, la guerre continuait ? Le Général De GAULLE qui avait rejoint Londres lance le 18 juin sur les ondes de la B.B.C. un appel à tous les Français et invite les officiers et soldats, ingénieurs, ouvriers à se mettre en rapport avec lui. Ce fut un espoir, mais beaucoup d’inquiétudes pour l’avenir.
« La France a perdu une bataille ! Mais la France n’a pas perdu la guerre ».

(…) L’Armistice ne change rien : les prisonniers ne rentrent pas, les Allemands s’installent, prennent chambres chez l’habitant. La France est séparée en 2 Zones (les relations seront difficiles entre les 2 Zones). Les difficultés de ravitaillement se font sentir : les stocks s’épuisent et les Allemands se servent copieusement. Un service de ravitaillement est créé : tickets de rationnement pour l’alimentation mais aussi pour les vêtements et les chaussures. La pénurie et les rationnements, entraînent la fraude, les échanges clandestins, c’est le « Marché Noir »… Notre père décédé brutalement début octobre, n’est pas sorti de la maison depuis le 24 juin 1940 (arrivée des troupes allemandes en Charente), ne voulant aucun contact avec l’occupant. Il nous faudra aider notre mère.
L’essence manque, les grossistes ne livrent plus, avec une petite charrette que nous poussons, nous allons chercher la marchandise, faire le marché de gros à 4H du matin, dans le noir (l’éclairage public étant supprimé). Nous devons comptabiliser les tickets, le soir après la fermeture pour renouveler les stocks. Nous distribuons du lait entier, sur carte et du lait écrémé pour avoir un peut de lait, les gens font la queue jusqu’à 20, 21H. Circuler en ville le soir, restera un mauvais souvenir : un artisan veut bien nous souder les boîtes de conserves que nous adressons à Pierre, mais il habite dans le vieil Angoulême. Je dois donc traverser toute la ville dans le froid et le noir et passer devant le café de la paix et le cinéma Family où les Allemands et leurs amis et amies charentais, font la fête. Envie de pleurer que je refoule en retrouvant ma mère. Notre quotidien est bien triste, mais nous gardon notre espoir.

(…) La tourmente que secoue l’Europe depuis 1938 nous inquiète : Agressions italiennes et allemandes – Guerre d’Espagne et défaite de la République malgré l’aide de Brigades internationales. L’arrivée massive de républicains espagnols (que nous aiderons), puis la venue des réfugiés parisiens durant l’exode, mais aussi tous ses gens du Nord et de l’Est (parmi lesquels beaucoup de juifs) fuyant tous les bombardements, auront pour nous un éveil politique. Les mesures discriminatoires votées par les autorités allemandes et le gouvernement de Vichy contre les communistes, les Israélites et les Francs-Maçons, nous troublent profondément.
Nous étions anti Allemands, nous allons donc devenir résistants.
(…) A la maison nous prenons la B.B.C. Pierre appartient au Mouvement des Auberges de la Jeunesse – pour l’amitié et le rapprochement avec toutes les nations – Cours d’Espéranto. De nombreux jeunes réfugiés rejoignent le Centre des………………. Certains ont beaucoup souffert. Des groupes se forment par affinités, par solidarité. La présence obsédante de l’ennemi pousse à faire quelque chose. A l’automne 1940, de nombreux Parisiens repartent, tel notre ami Karl SCHOENHARR (élève au lycée de Guez de Balzac…). Certains garderont des contacts avec les Charentais et reviendront plus tard, pour passer la Ligne de Démarcation et filer vers les F.F.I. A cette période c’est un mélange extraordinaire d’êtres : nationalité, convictions politiques et religieuses, milieux sociaux, âge et sexe avec un idéal commun. Quelques camarades pacifistes avant tout, iront vers la collaboration. (…) Dès l’été 1940, des jeunes ramassent les armes abandonnées par les soldats. Des groupes se forment, souvent sur l’initiative de militants communistes. La rédaction et la distribution des tracts s’organisent.

Le 21 sept.1941, Gontran LABREGERE et Jean-Jacques RIVIERE tentent d’incendier un entrepôt de paille en gare d’Angoulême. Gontran sera fusillé le 12 oct. 1941 et Jean-Jacques, condamné à 10 ans de forteresse. Les actes d’hostilités envers les occupants sont de plus en plus nombreux, Pierre, grand ami de Jean-Jacques RIVIERE, prend contact avec des jeunes déjà organisés, et retrouve des camarades de classe et de sport. Ils lui confieront certaines tâches : récupérer du matériel apporté de Paris par les cheminots et le distribue (entrepôt général). Certains responsables de passages à Angoulême passeront la nuit à la maison. Les familles juives sont de plus en plus menacées, contraintes de porter « l’étoile jaune ». En août, quelque uns décident de partir. Pierre va les aider à passer en Zone Libre. Il aura recours au dévoué chef de gare de Ruelle, M. BŒUF, qui héberge le temps qu’il faille les passagers clandestins et les dissimule dans les trains au bon moment ! Des Parisiens viennent avec des parents pour tenter le passage, après un petit séjour à la maison. Grand émoi ! quand l’un d’eux (personne importante), revient chez nous le soir. Les Allemands l’ont arrêté et laissé repartir sur la promesse d’adresser un chèque au Secours National allemand.

Deux années ont retardé leur départ (le père est déjà passé), elles, seront arrêtées à Paris et déportées. L’une s’évadera, l’autre ira mourir à Auschwitz. Le groupe de « St Michel » est de plus en plus actif. Cette grande activité met les Allemands et la police française sur les dents. Dans la nuit du 29 au 30 octobre un important déraillement se produit vers Gensac-la-Pallue. Une filature est établie, des responsables sont arrêtés. Pierre est arrêté à la Trésorerie Générale le 10 nov. 1942 par des policiers français. Je fais les bureaux de police pour savoir ce qu’il est devenu. Il est emprisonné à St Roch et y restera quelques jours. Il est libéré, revient à la maison et reprend son travail. Il ne pourra pas partir chez nos parents résidents en Zone Libre, celle-ci n’existe plus.
Début 1944, la Mililce s’installe à Angoulême. Des bureaux sont aménagés au 13 de la rue de Lavalette. Face à notre maison, la chambre occupée par un officier allemand, est reprise par un milicien.

(…) L’enquête continue. Les polices françaises et Allemandes collaborent étroitement, et bien évidemment aidées par des indicateurs. Les principaux responsables sont arrêtés de nov. 1942 à mars 1943. En février, Pierre est de nouveau arrêté, une fois encore sur son lieu de travail. Ils viennent à la maison pour perquisitionner (c’est triste une perquisition). Ils le conduisent à la prison St Roch, après avoir constaté qu’il n’avait pas d’armes. Il y retrouve ses amis. Il nous adresse une grande lettre pour nous demander pardon. Le chef de la Sûreté allemande vient souvent à la maison. Il semble touché par le désespoir de ma mère. La vie s’organise, nous avons un droit de visite et pouvons apporter linge et ravitaillement. Colette doit aller chercher les Laissez-passer à la Sûreté allemande (av. Wilson).

Deux gardiens allemands viennent à la maison nous donner des nouvelles de Pierre et bavardes, l’un très intellectuel, nous dit sa tristesse lorsque HITLER a ordonné de brûler toute la littérature française. Lors d’une visite, nous apprendrons qu’ils ont été envoyés sur le front russe. Nous faisons connaissance avec les autres détenus et leurs familles (amitié et solidarité). Quelques jours avant le jugement, A. WENNISSER responsable de la Sûreté allemande, vient dire à ma mère :  « Madame BRILLET, votre fils va partir travailler en Allemagne, donnez-lui des vêtements chauds, il reviendra et ce sera votre fils chéri, c’est mieux ainsi ». Plus tard, nous avons compris ! Je porte une valise av. Wilson. Le jugement du 30 avril 1943, condamnait 6 personnes à mort (exécutées le 5 mai 1943), tous les autres résistants arrêtés, furent envoyés dans les camps de concentration. Ils quittent Angoulême le 30 avril. Arrêt de quelques jours à la prison de la Pierre Levée de Poitiers et gagnent Compiègne, camp de regroupement.

Pierre retrouve là des camarades espagnols. Mais il a des ennuis de santé, infection très sérieuse à un œil. Un médecin français réussit à obtenir son évacuation vers le Val de Grâce (hôpital militaire de Paris). Il y restera quelques mois, soigné par un remarquable médecin colonel qui pense le faire évader. Mais il sera lui-même arrêté. Nos amis parisiens (étudiants, réfugiés de 1939), nous obtiennent un laissez-passer et nous pourrons aller le voir sous surveillance allemande avec chien ! Il est dans un grand dortoir avec d’autres prisonniers : un prêtre, un chanteur d’opéra, des Américains, etc… Le temps passe vite, il faut nous séparer, nous resterons dans le jardin à le regarder, à la fenêtre grillagée, « petite figure triste……… » (dernière vision). Quelques jours plus tard, il repart pour Compiègne, mais ses amis sont déjà partis pour l’Allemagne. Nous lui adressons des lettres et des colis qu’il partage, car certaines personnes ne reçoivent rien. Il ne recevra pas le colis de Noël, car il est parti rejoindre un camp en Allemagne.

(…) Pierre arrivera fin 1943 à Buchenwald, camp de concentration. Il y retrouve des amis charentais. Raymond, Jean, Pierre, les autres sont partis dans les kommandos de travail. Au bout de quelques jours, il est appelé et désigné pour rejoindre Dora. Le pire est arrivé, « être désigné pour Dora équivaut à s’entendre condamné à mort ». Ses amis sont bouleversés et pensent ne jamais le revoir. (…)

1er transfert : C’est un train de marchandises qui emmène les détenus de Compiègne vers l’Allemagne. Ils sont entassés 120, 130 dans les wagons, fermés et barricadés de barbelés. Ils suffoquent dans le noir. Un baril pour les besoins naturels est prévu, indispensables, mais sujet à bien des disputes. Tout est sale puant… De temps en temps, des cris annoncent que l’un d’eux perd la raison. Lors d’un arrêt, des femmes de la Croix Rouge distribuent de l’eau. Le 2ème arrêt, c’est la gare de Weimar après 30H environ de voyage dans des « cercueils roulants »… Des camions découverts attendent pour emmener les prisonniers harceler par les SS, au camp de Buchenwald. Dès l’arrivée à Buchenwald, c’est la demande d’identité, la fouille, la visite chez le « coiffeur », qui passe la tondeuse sur les cheveux, la barbe, la poitrine, les couilles, les jambes, puis le shampooing au grésil, la douche chaude et froide, endosse des vêtements civils, avec inscrit dans le dos K.L. Les pyjamas rayés seront attribués pour partir en kommando. Ils attribuent aussi un numéro et un triangle rouge (pour les politiques), à coudre sur les vêtements. Les détenus sont dirigés vers un block – baraque en bois aménagée en travers, où sont installés des bas plan. Une couverture est donnée pour dormir sur la paille. Pierre aura la joie de retrouver dans le camp ses amis qui feront tout pour le garder. Les uns employés à l’organisation et à l’entretient, d’autres, travaillent à la carrière. Les S.S. avaient la haute main mise sur le camp, mais la gestion intérieure était souvent confiée à des déportés communistes allemands, internés depuis 1935. Des arrangements pouvaient avoir lieu, mais Pierre sera appelé pour Dora. Ses amis lui donneront des lainages…

2ème transfert : Lors du départ pour Dora, des camions forment un convoi, où les déportés doivent s’entasser debout, ballottés dans tous les sens. Un SS ordonne de s’asseoir, c’est impossible il n’y a pas assez de place. Le SS prend un gourdin et frappe de toutes ses forces sur la tête des gars, sur leurs bras et épaules. Chacun s’assoit, Pierre sur les genoux du voisin. C’est assis qu’ils arrivent à Dora. La tête et membres endoloris. Dora. C’est l’enfer des camps de concentration. L’installation du camp de Dora et de ses annexes est attachée à l’histoire du développement des armes allemandes. Le tunnel aménagé deviendra une usine de fabrication de V1 et V2. En arrivant à Dora, l’appel est organisé tout de suite, un officier SS passe l’effectif en revue, interroge les déportés : âge ? pourquoi es-tu arrêté ? quel métier ? quel diplôme ? Un déporté souffle à Pierre qu’il devait vite se trouver un métier manuel ! L’appel terminé les détenus sont conduits vers une caverne. Descente dans le noir. Cet antre sera leur dortoir. Dora était tenu par les Kapos, les déportés au triangle vert, les Droit Communs, qui frappaient à mort pour des fautes bénignes (ils avaient le droit de vie ou de mort sur chaque déportés). Les SS s’en réjouissaient et frappaient à leur tour. Les déportés trimaient 15 heures par jour et dormaient dans le tunnel. Froid et humidité étaient intenses, il n’y avait pas d’eau potable, « on lapait les suintements des parois et le liquide des boues des qu’un SS tournait le dos, car il était interdit de boire l’eau non potable ».

Distribution de cigarettes, mais défense de fumer ! L’amusement des SS était de faire tomber un déporté dans les latrines, d’autant plus que tous souffraient de dysenterie, alors le malheureux partait plus désespérer que jamais. Des prisonniers terminent fous, d’autres eurent les nerfs saccagés quand l’installation progressait. Le vacarme monstre qui régnait fut une cause de ces dérèglements : bruits des machines, des marteaux piqueurs, de la cloche de la locomotive, les explosions continuelles… Les SS frappaient les détenus, il fallait tout sacrifier au rendement d’une arme secrète, d’une efficacité sans précédent dans l’histoire, qui allait permettre de pulvériser l’ennemi.


Pierre se lie d’amitié avec un déporté parisien, plus âgé que lui (ADHEMAR) qui le conseillera et l’aidera beaucoup, notamment à survivre… Pierre est blessé, mais il ne veut pas aller faire la queue à l’infirmerie, il préfère aller dormir, se reposer pour tenir. En cachette, il fait lécher sa plaît par un chien (remède préconisé). Plus tard, il se fait écraser un pied par un wagon. Il hésite à se rendre à l’infirmerie, l’attente y est si longue ! Son état s’aggrave. Son ami le ramènera à l’infirmerie. Il aura les premiers soins puis sera envoyé à Nordhausen (hôpital ou maison de repos). Là il retrouve un détenu de Compiègne, porteur du triangle vert, avec qui il avait partagé ses colis. Celui-ci lui en sera reconnaissant et lui prouvera en ce lieu. Il l’aidera sérieusement (soins et nourritures) ayant trouvé une certaine autorité près des Kapos. Pierre a toujours pensé que c’était cette aide qui lui avait permis de s’en sortir. Son « nouvel ami » prolonge autant que possible son séjour à Nordhausen. Son état de santé s’étant amélioré, Pierre saura obligé de regagner Dora.

Les travaux ont évolués. Les baraquements sont terminés. Le travail est toujours là, au-delà le concevable, mais les détenus peuvent déserter le tunnel durant 6H de repos qui leur étaient accordées. Le matin en revenant au tunnel, quelques fois ils se heurtent aux pieds des pendus. La répression est sévère à Dora. Un envoi de femmes et enfants d’Europe centrale arrive. Les jeunes seront employés pour des petits travaux, beaucoup seront malades. Des convois arrivent de Russie, de Belgique, de Pologne, de Tchécoslovaquie, de Yougoslavie, de France d’Auschwitz. Ils remplaceront les cadavres et connaîtront la vermine, les blocks, la faim, les tortures, les camps, le travail forcé… Les 2 tunnels aménagés sont devenus une usine colossale avec souffleries, diesels ………à leurs…………….cuisines, cantines, imprimeries, casernes de SS. Pour les détenus le travail change, Pierre est employé au magasin, la nourriture s’améliore un peu, mais les conditions de travail sont toujours infernales pour les hommes, fatigués qui traînent leurs haillons et leurs sabots de bois.

Dès que nous avons pu avoir l’adresse, nous adressions lettres et colis par la poste (Croix Rouge) et par la gare. Ceux-ci étaient remis à Pierre après avoir été vidés par les SS et les Kapos. Mais nous sommes restés sans nouvelles à compter de l’été 1944 jusqu’à son retour… Une résistance s’organise, des informations circulent, qui donnent espoir (grâce au succès du débarquement anglais ; importance de la résistance française). (…) Début avril 1945, une effervescence plus grande règne dans le camp. Le bombardement de Nordhausen, l’approche des Américains donne de l’espoir, mais les représailles sont à craindre. L’évacuation des camps est décidée le 6 avril : les déportés sont dirigés vers une gare d’embarquement située au bout du camp. Les détenus sont embarqués, les SS poussent à coup de botte et de crosse où s’entassent les détenus. Est ce le transport dont-on ne revient pas, les kommandos du ciel ?

Le train démarre, fait marche arrière, repart, c’est un train fou. Arrêt en pleine campagne, puis notre convoi s’oriente vers le Nord, traverses une gare en feu, les trains brûlent. Le train stoppe, l’arrêt se prolonge, les SS discutent. Le train repart et s’arrête au milieu d’un bois, la voie ferrée ne va pas plus loin. Il a fallut une semaine pour aller de Dora à Bergen-Belsen à rouler dans un train sans ravitaillement (les Allemands n’avaient rien prévu). Des infirmiers récupérèrent un peu d’eau ce qui permet à de nombreux déportés d’attendre le terme du voyage (il y a de nombreux morts) les détenus descendent, bousculés par les SS, s’ils ne vont pas assez vite, la plus part partent à pied pour rejoindre le camp de Bergen-Belsen, camp d’extermination. Combien d’entre eux parviendront au but ? Les plus résistants soutiendront les défaillants, véritables loques humaines, partant en camion, ceux qui vraiment ne peuvent plus se traîner. Ils meurent rapidement. Les détenus arrivent de toutes parts, de tout âge, de tous les sexes, de toutes nationalités. Les installations de fours crématoires sont insuffisantes, les fosses communes (à l’aire libre) s’emplissent de cadavres.

Dans les blocks hommes, femmes, enfants typhique, dysentériques, gisent, geignent, râlent. Pierre est parmi eux, sans force. Il sera rapatrié par un train sanitaire anglais jusqu’à Paris. Réception à l’hôtel Lutécia, pour visite et contrôle. Un télégramme nous prévient de son arrivée, nous précise qu’il est malade ! !  Il arrive en gare d’Angoulême le 30 avril à 5H du matin (une femme déportée arrive au même train). Nous l’attendrons avec des amis. Il est là dans son pyjama rayé, sans cheveux, les yeux perdus, maigre et soufflé par l’œdème. Est-ce vraiment lui ? (Plus je le regarde, moins je le reconnais). L’amour des siens (mère, sœur, beau-frère) l’amitié la solidarité de ses amis l’aideront à vaincre la maladie (10 ans), à survivre. Il fondra une famille, 2 garçons. Mais toujours convalescent décèdera le 1er janvier 1994.

30 000 hommes déportés des 4 coins de l’Europe sont mort à Dora...